enquête sur l'urss

La Grande Terreur a causé la mort de 750 000 personnes en Union soviétique entre 1937 et 1938. Un bon livre a mis au jour la campagne visant à "détruire les éléments étrangers, nuisibles à la société".

Dix ans après le premier livre, sérieusement intitulé Goulag, le photographe polonais Tomasz Kizny et son associé Dominique Roynette, ancien directeur artistique de Libération, qui se sont rendus en Pologne pour fonder Gazeta Wyborcza dans L'instant où le mur est tombé, le Grand Livre est publié aujourd'hui. Terreur en Union soviétique, 1937-1938. C'est une suite logique et le fruit de 5 ans de travail. Car si on a tant lu, au fil des décennies, et grâce aux rescapés, de témoignages déchirants sur l'univers concentrationnaire du goulag, on en sait très peu sur la Grande Terreur. "Le plus grand massacre d'Europe en temps de paix" selon l'historien Nicolas Werth, puisqu'il tua 750 000 âmes en seize mois. C'est un Soviétique sur 100, et un Polonais sur cinq vivant en Union Soviétique (environ 120 000, sur 600 000) !

Une opération "préventive", top secrète, parce que Staline voulait "éliminer les éléments étrangers, nuisibles à la société", serait enterrée à jamais. Au point que leurs condamnations à mort ont même été dissimulées aux victimes et à leurs familles, avec qui la peine de dix ans de prison sans droit de contact a été prononcée... Le mensonge a duré jusqu'à la perestroïka, car ce n'est pas le post-stalinisme. Nikita Khrouchtchev, elle-même participante au massacre, qui lèvera le rideau sur cet épisode... Il faudra donc plus de cinquante ans pour que les archives secrètes de la Grande Terreur soient ouvertes, et Une poignée d'historiens, avec le Russian Memorial Association, sont en mesure de recueillir quelques pièces de ce puzzle tragique. Parmi elles, 4.000 photographies, prises dans les prisons moscovites - en province, où les conditions matérielles ne permettent pas ce "luxe" - qui ont aidé les bourreaux à identifier leurs victimes au moment de l'exécution. Le livre présente 100 portraits de victimes, tragiques autant que spectaculaires, accompagnés de textes qui les identifient. Certains ont l'air pensifs ou nerveux, d'autres sourient, semblent désabusés ou regardent fixement la caméra. D'autres semblaient fatigués, beaucoup plus âgés que leur âge. Ont-ils été torturés ? Il y a quelques femmes (Nicolas Werth, qui décortique la mécanique du massacre dans L'Ivre et le Fleuriste à Tallandier en 2009, révélant qu'ils n'ont compté que 7 à 8 victimes), beaucoup de Juifs, de Pologne, d'ecclésiastiques, d'ouvriers et de sans-abri. Nous comprenons que ces martyrs (certains d'entre eux d'âge canonique ou analphabètes) sont innocents des crimes incroyables dont ils sont accusés. Mais Staline a fixé des quotas. Il faut les combler, voire les dépasser, sous peine d'être dévoré. Cela n'arriva pas, les bourreaux du jour rejoignirent rapidement leurs victimes. Le livre nous emmène sur des lieux d'exécution, des charniers qui semblent si paisibles aujourd'hui, et nous montre les carnets et objets intimes de ceux qui ont disparu, ainsi que les portraits de leurs descendants. Ces documents et récits, éclairés par les normes et analyses de Nicolas Werth et d'Arseni Roguinski, président de l'association Mémorial, ont enfin rendu leurs visages à ceux que l'on souhaite effacer complètement, au complet et au simple. Avec Arseni Roguinsky, il reste à espérer que ce livre paraîtra un jour en Russie. Car, si les Russes « se souviennent des victimes et les respectent », a-t-il expliqué, ils éludent la question de la responsabilité de ce crime de masse, préférant voir Staline triompher du nazisme que le criminel Staline : « Ils sympathisent avec les victimes du nazisme. une épidémie a frappé le pays.

Pour l'historien, "c'est triste mais c'est vrai : il n'y aura pas de nouvelle Russie tant que cette mémoire ne sera pas reconnue". La Grande Terreur en Union soviétique, 1937-1938, de Tomasz Kizny et Dominique Roynette, Noir sur blanc, 412 p., 40 €